Afin d’endiguer la propagation du Covid-19, la Confédération a décidé d’interdire, le 16 mars dernier, tous « les traitements et interventions non urgents ». Dans un premier temps, une interprétation très restrictive de l’ordonnance fédérale a conduit les cabinets médicaux à limiter leur activité aux seules urgences. Depuis, les médecins installés dans le canton de Vaud ont obtenu le droit de rélargir leur palette de soins. Les groupements de spécialités font des propositions d’adaptation pour leur activité en fonction de la crise sanitaire et le médecin cantonal est en train de valider ces adaptations.

En effet, il est primordial que les 99,5 % de la population qui ne souffre pas du coronavirus puisse être pris en charge en cas de nécessité. Certains problèmes de santé ne peuvent pas attendre trois mois. Si les situations considérées aujourd’hui comme non urgentes sont mises de côté trop longtemps, elles risquent de dégénérer, causant un flot d’arrivées supplémentaires aux urgences à un moment où l’épidémie ne sera probablement pas encore sous contrôle. « Pendant les deux premières semaines de confinement, beaucoup de médecins ont contacté leurs patients par téléphone. Ils se sont rendu compte que certains d’entre eux n’allaient pas bien et avaient besoin de soins », affirme Philippe Eggimann. La Société vaudoise de médecine (SVM) vient d’ailleurs de lancer une campagne d’information sous forme d’un clip d’animation pour aviser la population qu’ils ne doivent pas attendre pour consulter (www.svmed.ch/infos-patients/).

Anticipation des cabinets médicaux

L’ordonnance fédérale visait à limiter les contacts humains non indispensables et à protéger de ce fait même les effectifs médicaux, en particulier dans les hôpitaux, qui doivent être capables de poursuivre leur action et prendre en charge les centaines de cas COVID-19 nécessitant une hospitalisation. Mais les mesures d’urgence ne doivent pas exclure la perspective à long terme. Il faut donc les réévaluer constamment pour les adapter à l’évolution de la situation. En l’occurrence, il est inquiétant de constater que de nombreuses consultations ont été annulées ou repoussées par les patients eux-mêmes, soucieux de ne pas surcharger leur médecin, ou peut-être anxieux à l’idée de risquer d’attraper le virus en croisant des malades dans sa salle d’attente, estime Philippe Eggimann. Les cabinets vaudois sont pourtant devenus plus sûrs que jamais, assure-t-il. Dès la promulgation de l’ordonnance du 16 mars, ils ont pris des mesures pour garantir à leur clientèle restante qu’elle ne risquait pas d’être contaminée en venant consulter : espacement des rendez-vous, désinfection encore plus stricte des surfaces, séparation des flux de patients en fonction de leur probabilité d’être atteints du virus, port de masques de protection, etc. Parallèlement, ils ont fait basculer les trois quarts de leurs consultations vers la télémédecine, selon un sondage de la SVM portant sur plus de 1200 cabinets vaudois et publié début avril.

Urgent besoin de solutions en télémédecine

La SVM travaille d’arrache-pied pour mettre rapidement à disposition des médecins vaudois des outils pratiques en matière de télémédecine. « Il existe des logiciels sophistiqués, mais nous sommes dans une situation d’urgence où il faut une solution proposant des fonctions basiques, à savoir l’envoi d’ordonnances, de certificats médicaux et de factures. Les médecins ont besoin d’un système facile à utiliser, y compris par les patients, et accessible depuis tout type de périphérique (mobiles, tablettes, etc.), avec un support technique et un contrat type limité à la durée de l’épidémie, c’est-à-dire sans engagement pour l’avenir », explique Philippe Eggimann. Des négociations sont en cours avec des sociétés éditrices de logiciels. « Ce que nous sommes en train d’entreprendre actuellement nous fera sans doute gagner des années dans le développement du futur dossier électronique du patient. »

Les outils actuellement disponibles pour effectuer des consultations à distance par visioconférence peuvent être classés en trois catégories. Tout d’abord, les solutions intégrables au logiciel de gestion de cabinet et auxquelles le dossier du patient est automatiquement rattachable. « Sur le principe, c’est l’idéal, mais il n’en existe à notre connaissance que peu de solutions offrant les garanties de sécurité nécessaires », précise Philippe Eggimann. Il y a ensuite les logiciels dédiés. Spécifiquement voire uniquement conçus pour la téléconsultation, ils ne permettent pas tous de produire des ordonnances et des certificats médicaux. Citons par exemple soignez-moi.ch, OneDoc et Que dit le médecin, ou docteur@home, géré par l’Association des médecins de Genève (AMG) qui met à disposition une partie de son serveur sécurisé hébergeant ce logiciel. Enfin, il y a les solutions génériques : ce sont les nombreuses applications « standard » de visioconférence disponibles sur internet et qui peuvent être utilisées à des fins de télémédecine, comme Infomaniak meet, Skype, Facetime, Hangouts, Zoom, WhatsApp, etc. Elles n’offrent aucune possibilité d’intégration au système de gestion du cabinet.

Pour ce qui est de conseiller une solution plutôt qu’une autre, l’exercice est jugé « périlleux » par Philippe Eggimann. D’autant que le transfert des consultations en face à face vers la télémédecine soulève des questions d’ordre juridique ; on songe évidemment à la sécurisation et donc à la confidentialité des échanges. En l’état, la SVM considère qu’il est probablement sage de privilégier les solutions informatiques dont les serveurs sont situés sur territoire suisse. Il est également utile de vérifier les normes et les certifications du produit. D’une manière générale, la SVM invite ses membres à faire preuve d’une grande circonspection vis-à-vis des solutions totalement gratuites ; elle leur conseille de préférer les solutions payantes qui, a priori, offrent un business model clair.

Sur son site spécialement dédié au COVID-19 et accessible depuis sa page d’informations www.svmed.ch/infos-covid-19/), la SVM a mis en ligne un comparatif régulièrement mis à jour. Ce site sert de plateforme d’information centralisée sur l’évolution de la crise sanitaire ; elle est constamment alimentée en informations, documents et liens utiles par la cellule de crise de la SVM. L’association a également créé un groupe Facebook privé (que 300 médecins ont déjà rejoint) afin que ses membres puissent échanger des informations et une page Facebook pour dialoguer avec la population.

Les médecins privés frappés de plein fouet

Mais les cabinets médicaux et leur personnel paient le prix de leur engagement sur le front. Le sondage de la SVM révèle en effet que le taux de contaminés est six fois plus élevé dans l’échantillon des professionnels vaudois interrogés que dans la population du canton. « Quelque 3 % des médecins vaudois et près de 4 % de leur personnel sont positifs au Covid-19, contre 0,5 % dans la population générale. Ces chiffres soulignent, si besoin était, qu’il faut absolument étendre à l’ensemble des cabinets médicaux les mesures prises dans les hôpitaux pour protéger les professionnels de la santé contre l’exposition au Covid-19. Un bon nombre de cabinets médicaux manquent de matériel adapté pour se protéger suffisamment eux-mêmes. Les masques sont rationnés », déplore Philippe Eggimann. « Cette situation justifie une uniformisation rapide des mesures d’hygiène dans l’ensemble du dispositif sanitaire ».

Dans canton de Vaud, qui est, en chiffres absolus, le deuxième canton le plus touché par le coronavirus dans le pays, les nombreuses annulations de rendez-vous font planer un autre danger sur la survie des cabinets médicaux. Avec un taux d’activité résiduel de 35 % révélé par le sondage de la SVM, ils font face à des problèmes de trésorerie. Après moins de trois semaines de confinement de la population, 30 % des cabinets médicaux éprouvaient déjà des difficultés financières importantes et certains d’entre eux craignent de devoir déposer leur bilan d’ici l’été, selon Philippe Eggimann. « Les enquêtes effectuées par l’OFS révèlent que nombre de cabinets ont dû se résoudre à mettre une partie de leur personnel au chômage technique. » Il faut savoir que ces structures emploient en moyenne 2,5 personnes et qu’elles doivent assumer des coûts fixes représentant environ les deux tiers de leur chiffre d’affaires, entre les frais de personnel, le loyer et les leasings pour les équipements médico-techniques.

Si, tout en étant officiellement ouverts, les cabinets médicaux ne peuvent pas fonctionner à peu près normalement, ils seront mis en danger de faillite sans avoir droit à une aide étatique. La SVM demande donc au Secrétariat d’État à l’économie (Seco) de les assimiler à des PME, afin qu’ils puissent être indemnisés.

Les fermetures qui, autrement, seraient pour ainsi dire programmées, pourraient entraîner des conséquences importantes et durables pour l’ensemble de la société.

Un enjeu de santé publique majeur à l'horizon

En supposant que la situation ne soit pas rapidement rectifiée, l’état de santé général de la population risquerait de s’aggraver de manière considérable, car aucune donnée scientifique ne vient étayer l’idée selon laquelle les troubles cardiaques, les maladies chroniques et plus généralement les problèmes de santé liés au vieillissement seraient moins fréquents ou moins nombreux en période de crise. La SVM demande donc aux autorités fédérales et cantonales d’assouplir au plus vite et au maximum les limitations de pratiques imposées en urgence aux cabinets médicaux. Il en va de la qualité et de la densité du réseau des cabinets de proximité et des spécialistes. À l’issue de la crise sanitaire du Covid-19, la Suisse risquerait de se retrouver avec un réseau à reconstruire et de retourner en arrière de vingt ou trente ans en termes de santé de la population et d’espérance de vie. « Typiquement, on compte une quarantaine de gastroentérologues dans le canton de Vaud. Si un quart d’entre eux seulement ferment, cela signifie que la population ne pourra plus bénéficier d’un dépistage du cancer colorectal, troisième cancer le plus fréquent en Suisse. » C’est un défi majeur posé par la crise sanitaire actuelle : après avoir géré l’urgence, il faut maintenant faire en sorte de pouvoir prendre en charge, dans un second temps, les malades dont la santé se sera péjorée. À quoi servirait finalement de mettre en place des mesures drastiques pour protéger à court terme la frange la plus faible de la population, si c’est pour se retrouver dans l’incapacité d’en prendre soin plus tard ?

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Télémédecine: une facturation à dépoussiérer

Le passage massif à la télémédecine pose des problèmes de facturation qui appellent une résolution rapide. Le Conseil fédéral, à présent seul habilité à modifier la structure TARMED, ne reconnaît en effet que le téléphone comme moyen de télémédecine (ou plus exactement de téléconsultation), alors que la télémédecine se définit généralement comme « une pratique médicale effectuée par un médecin à distance en mobilisant des technologies de l’information et de la communication ».

Par conséquent, la Société vaudoise de médecine (SVM) demande au Conseil fédéral d’introduire en urgence des positions permettant de facturer les prestations de téléconsultation et d’en préciser les modalités en cette période de crise.

Les pratiques actuelles de facturation se partagent entre une application stricte du tarif TARMED (soit la facturation d’une simple consultation téléphonique) et une interprétation plus « souple », avec la facturation d’une consultation normale considérée comme présentielle en raison de la vidéo interposée.